La famille, un lien sacré.

[Frejalla Heres]

La famille, un lien sacré.

Avec sa mère

Trois semaines ont passées depuis que Thaor, Theodor, Gérald et Darinn ont débarqué à Terra. Nous nous faisons discrets quant au projet d'évasion de Rey mais je ne perds pas mon objectif premier : sauver et protéger ma famille. Je ne pourrais forcer ni Anna ni ma propre mère à quitter Terra, mais je ne peux pas les abandonner ici sans avoir essayé.

Je m'habille rapidement à la sortie de mon lit, laissant trainer mon regard sur mon lit, me souvenant encore de cette intense nuit avec Theodor. Je souris en coin, sentant encore ses mains sur moi, son odeur contre la mienne, son corps brûlant contre le mien. Nous nous sommes vus quand nous avons pu ces derniers temps, mais la première nuit qu'il a passé ici à mes côtés fut magique. Je ne cesse d'y penser.

Je fais volte face et je me retrouve nez à nez avec ma mère, me fixant intensément. En trois semaines, beaucoup de choses se sont passés dans mon entourage, notamment la volonté de ma mère d'arrêter mes fiançailles. Ma mère et mon père s'opposent tous les deux dans cette idée-là mais il me semble que plus le temps passe, et plus ma mère se sent prête à se dévoiler, à libérer ces sentiments. C'est très dangereux pour elle.

Tout va bien ? je demande.
Lili, ma chérie, assieds-toi s'il te plaît.

Depuis combien de temps ne m'a-t-elle pas surnommé ainsi ? Une éternité.

J'arque un sourcil et je m’assoie sur le lit alors que ma mère m'y rejoint. Elle prend chacune de mes mains entre les siennes et caresse ma joue et les boucles de mes cheveux.

Tu es devenue magnifique, me dit-elle les larmes aux yeux.
Maman, qu'est-ce qui ne va pas ?
J'ai besoin de te parler, soupire-t-elle.

De me parler ? De quoi peut-elle vouloir me parler ? Son regard est lourd mais discret, elle me fuit mais elle est surtout craintive. Non pas de moi, mais de l'extérieur, comme si elle avait peur qu'on nous écoute. Pourquoi serions-nous écoutés ?

Je sais tout, avoue-t-elle. Je sais que tu as un petit-ami, que tu vagabondes dans les rues de Terra pour le retrouver.
Je...
N'essaie pas de me mentir, me supplie-t-elle. Je le sais depuis le jour où tu es revenue parce que moi aussi je suis passée par là. Moi aussi j'ai aimé contre la volonté de ma famille et je m'en suis mordue les doigts. Ne me coupe la parole et écoute-moi. Le jeu auquel tu joues est très dangereux, surtout si ton père l'apprenait. Tu ne peux pas continuer de voir ce garçon si tu souhaites rester à Terra. Ce n'est pas un ange de bonne famille, n'est-ce pas ?
Non, pas vraiment, dis-je vaincue.

C'est plutôt un banni, mon cher et tendre banni, mais passons.

Je ne veux pas te perdre Lili, mais je ne veux pas prendre le risque de te voir t’effondrer comme cela m'est arrivé.
Tu étais amoureuse avant de rencontrer papa ?
Oui, dit-elle d'un faible sourire. Tellement amoureuse que j'en suis venue à connaître le plaisir charnel avec lui. J'ai été déshonorée par ma famille, Lili.
C'est injuste, je murmure. Qui pourrait faire ça à sa propre fille ?
Mes parents, mais pas seulement. Ton père le pourrait.

Peut-être que j'ai sous-estimé ma mère et qu'elle connait déjà la vérité sous toutes ces couches, y compris l'étendue de ma relation avec Theodor. Je baisse les yeux.

Je ne veux pas savoir, ajoute ma mère. Tu dois rester prudente.
Que s'est-il passé pour ton petit-ami ?
Il a été banni de Terra, me raconte ma mère. Il n'était pas seul, tu sais.
Comment ça, je ne comprends pas ?

Ma mère se lève du lit et fait les cents pas. D'instinct, elle porte sa main à son ventre qu'elle masse comme si elle attendait un enfant. La réponse ne fait qu'un tour dans ma tête et je me relève aussitôt. Je prends les mains de ma mère entre les miennes.

Je n'étais pas ton premier enfant, je murmure.

Elle secoue la tête en guise de non et je me sens envahis par le désespoir d'avoir un membre de ma famille que je ne connais même pas.

J'ai une grande-sœur ?
Un grand-frère, susurre ma mère. Je n'en ai jamais parlé à personne, pas même à ton père. Il ne peut pas connaître l'existence de cet enfant. Je ne sais même pas si cet enfant est en vie.
S'il a été banni avec son père, il vit certainement à Mortifia. Je peux trouver.
Non !

Ma mère me prend dans ses bras, tremblant de tout son être.

Tu ne peux pas risquer ta vie ni celle de ce petit garçon.
S'il est en vie ce n'est plus un petit garçon, je rétorque. Comment s'appelle-t-il ?

Ma mère me toise et me tourne alors le dos. Je la supplie littéralement, de m'avouer enfin toute son histoire et ne pas me laisser dans l'ignorance. Cette époque est révolue.

Gérald, m'avoue-t-elle.

Ce nom ne fait qu'un tour dans mon esprit et je suis obligée de m'asseoir sur le lit. Ma mère ne comprend pas ma réaction mais que pourrais-je lui dire ? Puis-je lui cacher la vérité ?

Il est en vie, je murmure. Je le connais.

Le sourire de ma mère s'étend sur son visage lorsque tout à coup, quelqu'un frappe violemment à la porte. Nous nous relevons, ma mère et moi et nous restons à distance de la porte.

Aelita, c'est moi, annonce mon père. Ouvre cette porte.

Ma mère se tourne face à moi et me prend par les épaules.

Emmène Anna avec toi, me chuchote-t-elle. Partez d'ici, quittez Terra. Ce n'est qu'une question de temps avant que ton père ne soit renversé du pouvoir. Vous ne pouvez pas être ici lorsque cela arrivera.
Pourquoi ?!
Parce qu'ils vous tueront ! Je t'en prie Lili, je t'en prie.

Ses mains serrent les miennes alors que mon père continue de crier mon nom. Je hoche la tête en guise d'approbation et ma mère ouvre la porte.

Mes heures à Terra me sont comptées.


©Aelita 2016

[Frejalla Heres]

La famille, un lien sacré.

Avec sa famille

Mon père et moi nous nous observons durant un long moment. Il fixe légèrement la porte, comme s'il espérait voir revenir ma mère mais quelque chose semble s'être fissuré entre eux.

Viens avec moi dans le jardin, Aelita.
D'accord.

Je suis mon père sans un mot alors qu'Anna apparaît dans le couloir. Elle nous observe silencieusement et me regarde d'un air inquiet. Je la rassure d'un geste de la main et elle pousse un immense soupir. Elle pénètre dans la chambre où se trouve ma mère, peut-être que ma génitrice va enfin lui annoncer son plan.

Nous arrivons dans les jardins et mon père ordonne aux domestiques de nous laisser seuls. Je le toise d'un regard, étonné qu'il prenne autant de disponibilités alors que la plupart du temps, mon père prend un certain plaisir à me gronder devant tout un public. Je le toise et j'attends fermement sa sentence.

Il me prend alors brusquement dans ses bras et je reste muette. A l'étage, j'aperçois ma mère et ma sœur en train de nous observer. Que se passe-t-il pour que nous en soyons arrivés à ce stade ?

Aelita, murmure mon père. Pardonne-moi de n'avoir su t'écouter et t'épauler comme il l'aurait fallu. Je n'ai pas non plus su comment te protéger du monde extérieur et je regrette que nous en soyons arrivés là.
Papa, que se passe-t-il ?

Il me fait reculer et me regarde de haut en bas. Il me contemple comme s'il ne m'avait jamais vu, comme s'il me regardait pour la première fois et je vois de l'amour dans son regard. Personne ne peut avoir d'enfants sans les aimer, c'est inconcevable.

Nos heures ici sont comptées, m'annonce mon géniteur. Un complot se joue derrière nous, derrière notre famille.

Le fait qu ma mère soit légèrement paranoïaque ne m'a jamais étonné mais l'annonce venant de mon père me glace le sang. Est-ce ma faute ?

Hans Pain est déterminé à renverser le pouvoir Krow. C'est pour cela qu'il nous a forcé la main pour toi, qu'il voulait t'épouser. Il a apparemment décidé que tu n'étais plus son pion majeur dans son échiquier.
Papa, tu es le chef de Terra. Tu peux le bannir.
Je ne peux pas, je ne peux plus. Hans Pain a tout une armée d'opposant avec lui. Il incarne ce que je n'ai jamais réussi à être, la fermeté.
Tu as toujours été ferme, je rétorque.
Pas assez, sourit mon père. Je ne peux pas être celui qui vous bannira ta sœur et toi. Je ne peux pas reprendre le flambeau de mes prédécesseurs. Je ne peux plus continuer à terrer les émotions de tous les anges qui en manifestent.
Papa, tu...

Si j'avais su qu'il savait pour moi depuis toutes ces années, tout aurait été si différent. Je n'aurais peut-être pas pensé que j'étais seule, je n'aurais pas autant pleuré et autant souffert. Je me ronge de l'intérieur.

Quittons Terra, dis-je. Toi, maman, Anna et moi. Terra n'a plus besoin de notre famille, je t'en prie.
Non, je n'abandonnerai pas ceux qui m'ont élu. Toi, ta mère et ta sœur partirez.
Ma mère ne partira jamais si tu restes ici. Elle t'a toujours aimé, nous sommes une famille.

Mon père sourit timidement et me prend à nouveau dans ses bras.

Vous quitterez Terra ce soir, Anna et toi. Je vous ferais passer en dehors de la frontière, vous serez en sécurité.

Les larmes coulent sur mes joues alors que je ferme mes bras autour de mon père. Ma mère et ma sœur descendent et nous rejoignent dans le jardin. Elles s'engouffrent autour de nous, générant le seul et unique câlin familial que je n'ai jamais eu.

Je vous aime, avoue mon père. Toutes les 3, pour toujours.

Nous restons silencieuses devant la confidence de mon père. Mon père n'est pas le monstre que je pensais, que tout le monde pouvait penser. C'est un homme courageux et déterminé à périr à Terra s'il le faut, pour son peuple.


©Aelita 2016