13 Jul 2016, 17:37


Retour dans le passé.
Seule
Je marche timidement vers le laboratoire, le cœur lourd, la peur au ventre. Je suis terrifiée à l'idée de devoir faire face à mes démons, de devoir assumer une vérité que je n'ai jamais voulu connaître, voir oublier. Je suis perdue, perturbée et chaque pas me rapproche d'une sensation atrocement douloureuse dans le cœur.
La voix de la petite fille se fait de plus en plus pressante, comme si elle me suppliait d'abréger ses souffrances, comme si elle voulait me pousser vers elle, vers ces ténèbres que je ne connais pas. Chaque enjambée me terrifie alors que je sens le sol froid sur mes pieds nus, mes talons étant dans ma main afin de faire le moins de bruit possible.
J'arrive devant la porte du laboratoire, la carte de ma mère dans les mains et je regarde l'ouverture. J'ai peur de découvrir quelque chose mais la peur de devenir folle et de ne jamais comprendre ce qui se passe dans ma tête est bien plus forte. Je suis terrifiée mais parce que si je n'avais pas peur, cela voudrait dire qu'il n'y a rien pouvant me briser.
Je pénètre dans le laboratoire, si grand et si vaste. J'ai eu quelques fois l'occasion d'y venir dans mes souvenirs, mais c'était pour la plupart du temps, venir voir ma mère. Ce n'était qu'une visite superficielle mais à cette heure-ci puisqu'il n'y a personne, je peux voir à quel point cet endroit est grand et respire la peur. Je marche à travers le laboratoire, déposant mes chaussures dans un endroit caché et j'arpente les allés. Je ne sais pas ce que je cherche et je ne sais même pas si je cherche réellement quelque chose mais si ma mère m'a conseillé de venir ici, ce n'est pas pour rien. Je pénètre dans une petite salle et j'y aperçois des échantillons de sang. Les scientifiques semblent travailler sur un grand projet puisque même la zone pour accéder à la suite du laboratoire est verrouillée. Je dégaine la carte magique et je pénètre dans la salle.
Il y fait froid et un silence de mort règne. Mes pas raisonnent en échos et je regarde de droit à gauche. Des rangés de table dressés à la verticale meublent la pièce et je pose les yeux sur le fin fond de la pièce, à perte de vue. J'avance d'avantage, serrant mes mains l'une contre l'autre lorsque j'aperçois une table, à l'horizontale. Un corps y est couché mais je ne suis pas encore assez près pour identifier. Je m'avance, piquée par la curiosité. Un pas, puis deux, puis trois, jusqu'à arriver à la hauteur de cette jeune femme, de cette fille, de cette esclave des scientifiques.
Mon corps entier est parcouru d'un frisson lorsque je pose les yeux sur son visage endormi. Il est si doux, si rayonnant et malgré que son corps soit si froid, elle donne l'impression de briller de mille feux, comme si elle s'était endormie en pensant à quelque chose de doux. Je pose ma main sur la sienne, rigide comme si elle était morte mais le moniteur juste au-dessus m'indique bel et bien qu'elle respire et que son cœur bat. De nombreuses seringues sont plantées dans ses bras et je détourne le regard, horrifiée.
Je parcours la salle en observant la jeune femme du regard lorsque je tombe nez à nez avec son carnet de santé. Je m'en empare, je tourne les pages et je m'arrête net sur son nom, sur ses trois lettres qui la définissent. Je pose les yeux sur elle et je la regarde intensément, parcourant ses bras dénudés du bout de mes doigts.
Rey, je murmure.
C'est un tourbillon d'émotion qui m'envahis à l'instant où son nom sort de ma bouche. Je la connais, non seulement parce que c'est elle que j'ai vu à Mortifia mais je l'ai connu bien avant. Elle a bien grandi depuis, grandissant telle une belle fleur pour devenir ce qu'elle est aujourd'hui, une hybride, une femme, une pureté génétique.
Je tombe genoux à terre, serrant sa main dans la mienne, laissant mon regard se perdre sur elle, sur ce que ces gens lui font, sur le pourquoi elle est nouveau là. Parce qu'elle l'a déjà été. Rey est la petite fille de mes souvenirs, l'enfant de mes hallucinations, la petite fille avec qui j'étais, la petite fille qui partageait ma cellule.
Mes souvenirs me reviennent par petit fragment alors que la chaleur de mon corps déclenche brusquement les plus grandes alarmes de la pièce. Les jets d'eaux planqués au plafond larguent leur tonne de liquide mais je ne cède pas. Ma mémoire s'éveille, comme si elle avait patiemment attendu le jour où Rey reviendrait dans ma vie. Je ne l'ai pas reconnu lorsque nous étions à Mortifia, mais elle était si loin. Je me souviens d'elle, je me souviens du jour où nous avons toutes les deux fuis Terra parce que nous étions utilisées pour nos capacités. Je peux comprendre que Rey, aussi brillante et génétiquement pur puisse attirer, mais qu'est-ce que je faisais dans le lot ?
La douleur que me procure le retour de ma mémoire me plaque au sol, mais je ne peux pas rester là au risque d'attirer les gardes. Je dois sortir Rey d'ici, je ne peux pas la laisser être utilisée par ces monstres mais je ne peux pas agir seule, pas maintenant. Je prends le visage de Rey entre mes mains et je dépose un baiser sur son front.
Je reviendrai, Rey. Je te le promets, je ne les laisserais pas te détruire. Tiens le coup, Rey, je t'en prie.
J'embrasse également sa main et je tourne les talons. Je récupère mes chaussures et je quitte le laboratoire, trempée, pleurant toutes les larmes de mon corps et subissant le retour de ma mémoire avec force.
Comment en suis-je arrivée-là ?
Comment a-t-on pu utiliser des enfants à des fins scientifiques ?
Comment a-t-on pu me faire croire, moi, enfant de Terra, que j'étais en sécurité ici ?
Je suis perdue, abasourdie, blessée et meurtrie.
Qui suis-je ?

“It’s love that makes you fight harder for what you want.”

